lundi 5 novembre 2007

À PROPOS D'UNE "COMMÉMORATION"

Je suis très exactement un contemporain de Guy Mocquet : quand après la Libération, nous avons connu son nom et son émouvant adieu aux siens, il a rejoint pour moi la mémoire des deux copains et du prof de philo arrêtés en plein cours, devant nos yeux, à quelques jours d'intervalle…, et qui ne sont jamais revenus.


Donc, s'il fait partie des héros qu'on honore, il incarne d'abord, pour moi, le souvenir de toutes les jeunes vies gaspillées par une double absurdité :

  • La cruauté absurde d'une armée d'occupation et de sa sinistre comptabilité en victimes et en otages,

  • L'absurdité de certaines options dans la "gouvernance" publique de "l'entre-deux-guerres", dont le manque de lucidité et même, peut-être quelquefois, la cécité volontaire avaient offert à cet instrument de violence une victoire inespérée.

Ubu, roi de l'absurde, fait d'abord rire le spectateur…; mais on finit par pleurer en lisant la lettre d'un jeune fusillé.


Il ne suffit pas d'honorer cette mort héroïque ; encore faut-il se demander pourquoi –et comment- on en est arrivé à un moment de notre Histoire où la défense de la liberté passait par des morts héroïques. En entendant lire si officiellement cette lettre, j'ai regretté qu'on n'en ait pas fait l'occasion de se poser une telle question.

Non pas pour fouiller dans les fautes passées mais pour exercer les destinataires de cette lecture –nos lycéens- à discerner, dans les perspectives du temps qui va être le leur, les périls pour la liberté, qui s'ils changent de look ne perdent rien de leur virulence, bien au contraire.

Je crains que, si elle a été écoutée, cette lecture soit seulement reçue par les jeunes auditeurs comme une leçon d'Histoire et, au mieux, comme un appel à leur courage personnel dans les tragédies qui traversent toute vie ; alors qu'elle aurait pu être source d'une réflexion collective pour assurer un avenir à la liberté.

J'ai bien dit : réflexion" ; non pas inventaire des erreurs, des fautes ou des omissions, quelle que fût leur inspiration.

En effet, on ne peut préserver efficacement la liberté que par ce que les horticulteurs appellent un "traitement systémique" ; c'est-à-dire en cherchant la racine profonde de tous les méfaits qui la menacent.


On s'apercevrait alors que l'égoïsme de classe, le laxisme hédonique et la démagogie ont une racine commune : le MÉPRIS DE L'HOMME, qu'il soit inconscient ou calculé.

Car il existe tant de recettes pour mépriser l'humanité de l'Homme !

Aussi bien en l'exploitant comme machine à produire qu'en faisant mine de tout lui donner pour le réduire à la condition de quémandeur et d'assisté. En le "distrayant" ou en le puérilisant par la dissimulation des périls (*).

Mais, surtout, en recourant à ce moyen imparable : ne pas désigner mon prochain par son nom d' "HOMME", mais par un qualificatif approprié, à choisir dans une liste interminable et sans cesse enrichie.

Ou encore en le brutalisant jusqu'à ce qu'il ait perdu figure humaine pour pouvoir dire, en se lavant dignement les mains : "Voici l'Homme"… Mais, nous, nous savons que cet otage, "mort pour tout le peuple", est ressuscité, affirmant que rien ne peut faire taire l'Homme, dans aucun homme.

Par la lucidité et le courage qu'elle exprime, cette lettre d'un jeune fusillé, devenue maintenant monument national, le prouve.

Tout simplement.

Elle devrait nous inciter à dire cette espérance à notre monde moderne ; c'est-à-dire à rappeler "à temps et à contre temps" que son dieu a donné à l'Homme une telle valeur que toute option mettant en question la dignité, sociale ou morale, du plus insignifiant d'entre nous menace l'avenir de la liberté.


René Deveaux


(**) à titre d'exemple : en 1938, "bande de c…", murmurait notre Président du Conseil, retour de Münich ; ce qui ne l'empêchait pas de se laisser acclamer par une foule soigneusement contre informée…).


2 commentaires:

Unknown a dit…

"alors qu'elle aurait pu être source d'une réflexion collective pour assurer un avenir à la liberté."

Tout à fait d'accord.
C'est sur qu'il y a peu de chance qu'on ait voulu faire lire ce texte pour cette raison, puisque notre gouvernement s'oppose :
- à la réflexion
- au collectif
- à la liberté

A mon avis les motivations pour la lecture de cette lettre sont doubles :
- récupérer une part de l'aura de la résistance
- rappeler qu'il peut être mortel de s'opposer à l'ordre établi.

Au sujet des motivations de Guy Moquet, elles étaient par contre clairement dues à une réflexion sur le collectif et la liberté, pour preuve le poème saisi sur lui le jour de son arrestation :

"[...]
Les traitres de notre pays
Ces agents du capitalisme
Nous les chasserons hors d’ici
Pour instaurer le socialisme

Main dans la main Révolution
Pour que vainque le communisme
Pour vous sortir de la prison
Pour tuer le capitalisme

Ils se sont sacrifiés pour nous
Par leur action libératrice.
[...]"

http://contrejournal.blogs.liberation.fr/mon_weblog/2007/10/la-contre-lettr.html

Unknown a dit…

rené deveaux a écrit :
> merci de ta réponse... ,et de la citation que tu joins,
> MAIS
> si Guy Moquet a eu la noblesse de croire à un idéal communiste, je trouverais assez impudent que le communisme revendique quoi que ce soit au nom de la liberté car (je me cite) , en matière de : "MÉPRIS DE L'HOMME, qu'il soit inconscient ou calculé.", le marxisme reste le meilleur exemple de l'Histoire...
> Cela, nous l'avons su, nous, très tôt, sans quoi, au lendemain de la Libération, nous aurions tous suivi notre impulsion d'adhérer au PC : cette question et la déception immédiate qui m'a fait répondre "non" sont un des moments de ma vie que je n'oulierai pas.


Tu as raison, je ne suis pas adepte du marxisme non plus. Simplement Guy Moquet, lui, associe la lutte pour la liberté au communisme. Je voulais illustrer le peu de cohérence du gouvernement qui met en avant des personnes dont les choix sont radicalement opposés aux leurs. Tentant ainsi de se faire passer pour héritiers de ceux qui défendaient des idéaux totalement différents.