vendredi 7 décembre 2007


"SPE SALVI" UNE NOUVELLE ENCYCLIQUE DE BENOÎT XVI

Au moment où la communication moderne étale sous nos yeux tous les malheurs du monde et toutes les raisons de désespérer qu'il contient, le Pape nous rappelle fort opportunément les racines de l'espérance chrétienne, dans un document dont

voici quelques extraits.

Espérance et foi :

"Espérance" est le mot central de la foi biblique…", nous dit-il d'emblée, parce que l'Évangile n'est pas seulement une annonce ; il est "une communication qui produit des faits et change la vie". Grâce à quoi, bien que vivant dans une société imparfaite, les chrétiens "appartiennent à une société nouvelle vers laquelle ils sont en chemin".

La Bonne Nouvelle qu'ils ont reçue leur garantit en effet que "ce ne sont pas les lois de la matière… qui sont l'instance ultime, mais… une Personne. Et si nous connaissons cette Personne et si elle nous connaît… ; alors nous sommes libres". Le Christ "connaît… la voie qui passe par le ravin de la mort"… Il l'a vaincue et Il est "revenu pour… nous donner la certitude que, avec Lui, on trouve un passage…."

En incitant "la raison à consentir à ce qu'elle ne voit pas", la foi "attire l'avenir dans le présent…et le fait que cet avenir existe change le présent…".

La vie éternelle :

Benoît XVI se demande d'abord : "voulons-nous cela : vivre éternellement ?"…et il répond : -"d'une part, nous ne voulons pas mourir…, d'autre part nous ne désirons même pas continuer à exister de manière illimitée"… sur "une terre qui n'a pas été créée dans cette perspective"…. Mais "que signifie véritablement "éternité" ?"... Pour lui, ce n'est pas une durée infinie, mais un "moment… dans lequel le temps n'existe plus" et vers lequel " tend l'espérance chrétienne…, le moment d'immersion dans l'océan de l'amour infini.

À partir de cette réflexion il nous met en garde contre la tentation, trop actuelle, du salut individuel ; alors que, pour les Pères de l'Église "le salut a toujours été considéré comme une réalité communautaire". Selon lui, la vie que Saint Augustin dit "bienheureuse" "présuppose qu'on sorte de la prison de son propre moi". Il en trouve une bonne illustration dans la vie monastique des premiers siècles qui a offert à tant d'hommes jeunes de "faire leur salut" dans "une tâche pour toute l'Église et par conséquent pour le monde" ; tandis que les impasses de l'histoire actuelle nous incitent à comprendre "qu'aucune structuration positive du monde ne peut réussir là où les âmes restent à l'état sauvage".

Foi, espérance et temps modernes :

Le Saint Père se demande : "Comment en est-on arrivé à interpréter le salut de l'âme comme une fuite devant la responsabilité pour l'ensemble ?".

Il en trouve une des causes dans la "vision programmatique" qui résulte de l'application à la théologie de la "corrélation entre science et pratique…". Cette vision obture la perspective que le Christ a donnée au monde par la Rédemption.

Dans une synthèse historique, qui part des "Lumières" et aboutit à l'expérience marxiste, il montre clairement que toute expérience matérialiste dite "raisonnable" met l'homme en péril, en oubliant que "la liberté demeure toujours liberté, même pour le mal" et que "l'homme n'est pas seulement le produit de conditions économiques".

À partir de ce constat, il invite les chrétiens à définir leur espérance de telle sorte que, "à une autocritique de l'ère moderne soit associée une autocritique du christianisme moderne". Le progrès technique qui va "de la fronde à la mégabombe" appelle à "un progrès dans la formation éthique de l'homme". Le Pape ne met pas en doute que "la victoire de la raison sur l'irrationalité" soit "aussi un but de la foi chrétienne". Encore la raison doit-elle être vraiment humaine ; or, elle ne le devient qu'en s'ouvrant aux "forces salvifiques de la foi, au discernement entre le bien et le mal". Dans cette optique, "la raison a besoin de la foi", parce que "Dieu n'entre vraiment dans les choses humaines" que si nous le laissons nous rencontrer et nous parler ; c'est-à-dire "s'il n'est pas uniquement pensé par nous".

Quelle espérance chrétienne apporter ? :

La réponse de Benoît XVI passe par le nécessaire constat de ce qui différentie les deux voies de progrès : celle de la connaissance et celle de "la conscience éthique et de la décision morale". La connaissance peut additionner les acquis successifs qui lui assurent une "continuité", tandis que la conscience éthique est à réinventer pour "tout homme", car chacun de nous "est un nouveau commencement" : chacun peut aussi bien refuser qu'accepter le trésor moral légué par l'humanité entière, parce que "la conviction qui justifie l'adhésion à l'ordonnancement communautaire n'existe pas en soi" mais "doit être reconquise de manière communautaire". Il faut avoir le réalisme d'admettre que "puisque l'homme demeure toujours libre" –d'une liberté toujours fragile- le règne du bien définitivement consolidé n'existera jamais en ce monde".

Alors, ce monde, comment le vivre ?

Chacune de nos vies est "rachetée" par un ou plusieurs amours, qui lui donnent un sens, mais l'amour est fragile, relatif aux aléas. Seul "l'amour absolu", qui "existe avec une certitude absolu", peut nous racheter absolument… Un tel amour nous élève bien au-delà du salut individuel : "l'amour de Dieu se révèle dans la responsabilité envers autrui", souligne le Pape.

Diverses espérances jalonnent une vie, mais "l'homme a besoin d'une espérance qui va au-delà". Si on se contente de la seule perspective de la "raison" et du "progrès", on en reste aux schémas théoriques de structures sociales parfaites ; or, nous savons aujourd'hui que chaque application de tels schémas a été une menace pour la liberté. Il est temps de nous souvenir "qu'un monde sans liberté n'est en rien un monde bon".

Les "lieux" d'apprentissage et d'exercice de l'espérance :

Quatre "lieux" nous sont proposés :

1/ D'abord la prière, mais à condition qu'elle soit "l'espérance active…pleinement humaine", car "prier ne signifie pas sortir de l'histoire et se retirer dans l'espace privé de son propre bonheur".

2/ "l'espérance en acte" qu'est toute action pour le droit de l'homme ; pourvu qu'elle se situe dans une perspective plus large que des engagements à courte vue ou partiaux.

3/ La compassion et la recherche inlassable de remèdes aux misères, que le rétrécissement informatif de la planète nous rend chaque jour plus présentes. C'est le moyen d'affirmer que l'inaccomplissement du monde ne saurait empêcher l'espérance. "La passion de Jésus n'a de sens pour moi que si toute personne qui souffre est suffisamment importante pour que je me mobilise pour elle".

4/ L'acceptation que notre vie soit promise à un "jugement". Cette acceptation est une assurance que "Dieu existe…, qui sait créer la justice d'une manière que nous ne sommes pas capables de concevoir".

L'au-delà de la vie :

Pour aborder ce sujet, Benoît XVI nous rappelle une dimension chrétienne essentielle : la Communion des Saints, laquelle nous invite à "nous rendre compte qu'aucun homme n'est une monade fermée sur elle-même. Nos existences sont… reliées l'une à l'autre… Nul ne pèche seul, nul n'est sauvé seul".

Le Pape conclut par la belle image de Marie "étoile de la mer", la première des " vraies étoiles de notre vie : les personnes qui ont su vivre dans la droiture".

Une phrase, qu'on trouve dès le début de ce document suffirait à résumer cette analyse, trop succincte, de la pensée de Benoît XVI : elle définit "l'élément caractéristique des chrétiens : le fait qu'ils ont un avenir : ce n'est pas qu'ils sachent dans le détail ce qui les attend, mais ils savent d'une manière générale que leur vie ne finit pas dans le néant".

René Deveaux

jeudi 22 novembre 2007

BANGLADESH

La catastrophe humanitaire qui se déroule là-bas n'occupe que le deuxième plan de l'actualité médias. Et c'est bien dommage parce que, au-delà du deuil en humanité qu'elle devrait nous faire porter, elle pourrait être pour nous pleine d'avertissements essentiels.
Rassurez-vous, je ne vais pas profiter de cette occasion pour ressasser, une fois encore, les histoires de réchauffement climatique, de montée des océans et de tous les "marronniers" dont se régalent nos fabricants d'info. Le climat s'est déjà réchauffé et refroidi un nombre inconnaissable de fois depuis que le premier brontosaure a poussé son premier vagissement !

Non. Ce qui est pitoyable dans cette affaire, c'est que nous faisons semblant d'en être surpris !
Nous sommes dans un cycle géologique pendant lequel l'eau va monter inexorablement, avec une conséquence, parmi d'autres : la plus grande partie du territoire Bangladeshi est voué à une prompte disparition, à la fois géographique et alimentaire parce que le salage de la mangrove détruit sa flore utile et sa faune. Cela, tout le monde le sait.
L'écologie a bien raison de vouloir éloigner les échéances, mais ce cataclysme est inévitable ; et qu'est-ce qu'on fait pour le conjurer ?... À part pousser des chansonnettes dans des "galas de charité" pour saisir l'opportunité de dorer quelques images de marque grâce au prime time et ramasser quelques sous dont 20 %, au mieux, arriveront- et encore, trop tard- à la population victime de l'inondation de plus en plus périodique.
Qui se soucie, à l'ONU ou ailleurs, de la seule réponse valable à ce problème : prévoir ce qui deviendra inévitable avant une génération ? C'est-à-dire organiser dès maintenant, avec les populations intéressées (non pas avec les "dirigeants" qui excellent, eux, à "diriger" les crédits vers leurs coffres forts) l'installation de ces gens (pas le moins du monde "sous-développés" !) sur une terre, qu'il faudrait déjà être en train de choisir et préparer, si on ne veut pas voir chaque crue dépasser les records en millions de morts.
Et qu'on ne m'accuse pas d'utopie en me disant, d'un air docte (ou insouciant) :
-"La terre est déjà trop petite ; alors qu'est-ce que tu veux qu'on y fasse ?"... Les gens dits "sérieux" qui serinent pareil argument oublient que c'est leur tête à eux qui est trop petite pour penser hors de leurs routines.
C'est vrai qu'il existe des situations insolubles…; mais tout problème est insoluble si on en oublie –surtout volontairement- les données ! Quoi qu'on en dise, il est très peu de catastrophes vraiment imprévues : tout événement devient catastrophe si on refuse de le voir venir et de se préparer à en pallier intelligemment les conséquences ; non pas par des solutions toutes faites concoctées avec des "experts", mais en conjuguant, très humblement, les vraies bonnes volontés pour découvrir les voies inédites qui ouvriront l'avenir.

Revenons en au petit bout de notre lorgnette : on pourrait en dire autant, par exemple, du "recul de l'âge de la retraite".
Ni l'évolution démographique ni le changement drastique des conditions de travail ne nous sont tombés dessus un beau matin, à l'occasion d'une "présidentielle" : c'est une situation qu'on voit venir, mathématiquement parlant, depuis 20 ans, mais à laquelle on a refusé de se préparer parce qu'elle aurait interféré de façon gênante avec les courtes échéances des scrutins successifs (qu'ils soient politiques ou syndicaux) ; alors elle est devenue indigeste et on essaie –de part et d'autre- de s'en sortir par des effets d'annonce mal orchestrés et des techniques de communication et de concertation complètement obsolètes…, après avoir fait la preuve qu'on n'avait aucune notion saine des ordres d'urgence.

Ces deux réflexions convergent vers notre "mal du siècle" (pas romantique celui-ci !), qui est le court terme : il faut, dans son petit coin, gagner le maximum de voix et de puissance pour les uns, ou, pour les autres de fric (mais ce n'est là que l'autre nom de la volonté de puissance) dans le minimum de temps…
Cela est vrai à toutes les échelles, du haut en bas de la "hiérarchie". Évidemment, pareille optique ne permet pas d'explorer intelligemment le seul plan sur lequel se joue l'avenir de l'homme-et-femme : le long terme... "Après moi, le déluge", dit notre avant dernier roi absolu…, avant que son petit fils se fasse couper la tête.
(à propos, la Genèse nous apprend qu'on s'est trouvé aussi "pris de court" face au vrai Déluge : une société à deux vitesses dans laquelle "l'élite" (?) des "fils des dieux" imposait aux "fils des hommes" de satisfaire leurs petites jouissances sans lendemain).

On sait de plus en plus de choses aujourd'hui, mais on se dispense d'apprendre l'essentiel : utiliser à bon escient notre bien le plus précieux, les heures qui passent. Je n'ai jamais vu gaspiller le temps aussi gaillardement qu'à notre époque où toutes nos technologies prétendent l'économiser !
Nous savons comptabiliser nos sous, mais nous dissipons le plus généralement ce qu'aucun logiciel ne nous permet de thésauriser : notre temps…, qui ne prend de la valeur que si nous avons le souci d'en faire quelque chose d'utile.
Malheureusement, cette valeur irremplaçable, on ne la mesure que quand le temps nous devient compté !
Tout ce que je viens de vous dire ne serait-il donc rien de plus qu'un raisonnement de vieillard ?
En tous cas, je l'assume et je pense que ceux qui croient encore avoir du temps à profusion devant eux devraient quand même tenir compte de ce constat, aussi bien au quotidien que dans les grandes options où ils peuvent influencer l'avenir… qui leur appartient.

René Deveaux

lundi 5 novembre 2007

À PROPOS D'UNE "COMMÉMORATION"

Je suis très exactement un contemporain de Guy Mocquet : quand après la Libération, nous avons connu son nom et son émouvant adieu aux siens, il a rejoint pour moi la mémoire des deux copains et du prof de philo arrêtés en plein cours, devant nos yeux, à quelques jours d'intervalle…, et qui ne sont jamais revenus.


Donc, s'il fait partie des héros qu'on honore, il incarne d'abord, pour moi, le souvenir de toutes les jeunes vies gaspillées par une double absurdité :

  • La cruauté absurde d'une armée d'occupation et de sa sinistre comptabilité en victimes et en otages,

  • L'absurdité de certaines options dans la "gouvernance" publique de "l'entre-deux-guerres", dont le manque de lucidité et même, peut-être quelquefois, la cécité volontaire avaient offert à cet instrument de violence une victoire inespérée.

Ubu, roi de l'absurde, fait d'abord rire le spectateur…; mais on finit par pleurer en lisant la lettre d'un jeune fusillé.


Il ne suffit pas d'honorer cette mort héroïque ; encore faut-il se demander pourquoi –et comment- on en est arrivé à un moment de notre Histoire où la défense de la liberté passait par des morts héroïques. En entendant lire si officiellement cette lettre, j'ai regretté qu'on n'en ait pas fait l'occasion de se poser une telle question.

Non pas pour fouiller dans les fautes passées mais pour exercer les destinataires de cette lecture –nos lycéens- à discerner, dans les perspectives du temps qui va être le leur, les périls pour la liberté, qui s'ils changent de look ne perdent rien de leur virulence, bien au contraire.

Je crains que, si elle a été écoutée, cette lecture soit seulement reçue par les jeunes auditeurs comme une leçon d'Histoire et, au mieux, comme un appel à leur courage personnel dans les tragédies qui traversent toute vie ; alors qu'elle aurait pu être source d'une réflexion collective pour assurer un avenir à la liberté.

J'ai bien dit : réflexion" ; non pas inventaire des erreurs, des fautes ou des omissions, quelle que fût leur inspiration.

En effet, on ne peut préserver efficacement la liberté que par ce que les horticulteurs appellent un "traitement systémique" ; c'est-à-dire en cherchant la racine profonde de tous les méfaits qui la menacent.


On s'apercevrait alors que l'égoïsme de classe, le laxisme hédonique et la démagogie ont une racine commune : le MÉPRIS DE L'HOMME, qu'il soit inconscient ou calculé.

Car il existe tant de recettes pour mépriser l'humanité de l'Homme !

Aussi bien en l'exploitant comme machine à produire qu'en faisant mine de tout lui donner pour le réduire à la condition de quémandeur et d'assisté. En le "distrayant" ou en le puérilisant par la dissimulation des périls (*).

Mais, surtout, en recourant à ce moyen imparable : ne pas désigner mon prochain par son nom d' "HOMME", mais par un qualificatif approprié, à choisir dans une liste interminable et sans cesse enrichie.

Ou encore en le brutalisant jusqu'à ce qu'il ait perdu figure humaine pour pouvoir dire, en se lavant dignement les mains : "Voici l'Homme"… Mais, nous, nous savons que cet otage, "mort pour tout le peuple", est ressuscité, affirmant que rien ne peut faire taire l'Homme, dans aucun homme.

Par la lucidité et le courage qu'elle exprime, cette lettre d'un jeune fusillé, devenue maintenant monument national, le prouve.

Tout simplement.

Elle devrait nous inciter à dire cette espérance à notre monde moderne ; c'est-à-dire à rappeler "à temps et à contre temps" que son dieu a donné à l'Homme une telle valeur que toute option mettant en question la dignité, sociale ou morale, du plus insignifiant d'entre nous menace l'avenir de la liberté.


René Deveaux


(**) à titre d'exemple : en 1938, "bande de c…", murmurait notre Président du Conseil, retour de Münich ; ce qui ne l'empêchait pas de se laisser acclamer par une foule soigneusement contre informée…).