mercredi 18 février 2009

MONSIEUR LE PRÉSIDENT, IL FAUDRA BIEN EN ARRIVER À LA RÉVOLUTION COMPTABLE

Hier, Jeudi 5 Février à environ 21 h 00, quand vous avez parlé de la répartition des profits dans l'entreprise, j'ai bien cru que vous alliez en arriver à l'essentiel…, mais vous avez passé à côté !

Vous n'avez pas évoqué la réforme la plus nécessaire à une gestion économique efficace : celle des modalités de gestion de nos entreprises. Je voudrais me permettre une petite réflexion à ce sujet.

D'où vient une entreprise ?

Elle naît de la rencontre entre un projet de production ou de service et l'apport financier ad hoc auquel se risque des "actionnaires".

Cet apport est le capital social ; il est rémunéré chaque année par le succès du projet, sous forme de "dividendes", qui sont la répartition du bénéfice restant après impôt et provisions financières raisonnées.

En résumant, ce bénéfice ressort de la différence entre "l'Actif" (qui est censé être la richesse acquise de l'entreprise) et le "Passif", dans lequel sont décomptés les coûts des produits vendus. Malheureusement, le plan comptable additionne dans une même colonne les matières premières, le fioul, les produits d'entretien, etc… et les personnes qui concourent au résultat de l'entreprise. Autrement dit, cette richesse de connaissances, d'efforts, de dévouements et de simple honnêteté qu'on appelle aujourd'hui du nom pompeux de "Ressources Humaines" n'apparaît dans le bilan que comme une des charges qu'une bonne gestion se doit de réduire le plus possible. Et cette charge n'a pas plus de droit à influer sur les destinées de l'entreprise que les matières premières, le fioul, etc…

Mais…

Comment s'enrichit l'entreprise ?

De 3 façons :

  1. Par augmentation du capital social, apport des ou de nouveaux actionnaires,
  2. Par l'amortissement des investissement que ses résultats lui permettent,
  3. Par endettement auprès d'un (ou des) actionnaires : un prêt lui permet d'investir au-delà de ses résultats et elle le rembourse sur les résultats futurs.

Si bien que, à un moment donné, la richesse de l'entreprise se décompose en deux parts :

  • L'apport financier : capital social d'origine + augmentations éventuels (point 1 ci-dessus).
  • Les résultats de l'activité de l'entreprise, donc du travail de ses dirigeants et de son personnel (cf 2 et 3).

Néanmoins, ce sont les actionnaires (gestionnaires du capital social) qui désignent seuls les Administrateurs et leur confient l'avenir de l'entreprise et de ses salariés.

Or, je sais, par expérience d'ex chef d'entreprise, que la proportion de ce capital reste souvent faible ; ceci pour diverses raisons stratégiques qu'il serait trop long d'analyser ici (en particulier un actionnaire majoritaire gagne plus en prêtant à l'entreprise, moyennant un taux d'intérêt confortable qu'à "risquer ses billes" dans le capital).

Le pouvoir décisionnel appartient donc à des gens qui n'ont participé que (souvent très) minoritairement aux résultats de l'entreprise..

Bien évidemment il peut exister de graves conflits entre l'évolution de celle-ci et les intérêts des actionnaires.

Pourquoi toutes les tentatives de "Participation" échouent-elles depuis sept décennies ?

Il existe dans toute entreprise, une part d'enrichissement, d'ailleurs fort variable, qu'on peut mesurer par la différence entre l'actif et le capital social : elle constitue l'enrichissement réel de l'entreprise. La seule "participation" qui ait une chance de dynamiser nos entreprises et créer un climat social constructif consiste à donner à cette part productive de l'entreprise les deux pouvoirs d'information et de décision qui lui reviennent.

Il faut donc refonder le conseil d'administration en donnant un pouvoir électif (dont les clefs sont à inventer) à des représentants qualifiés émanant de l'encadrement et des exécutants, dont le nombre dépendrait de la proportion constatée entre enrichissement réel et capital investi, lesquels représentants ne devraient probablement pas être d'origine syndical, parce que la gestion n'est pas l'affaire des syndicats.

Voilà une "réforme" vraiment utile à entreprendre.

Mais on n'en arrivera pas là sans réformer d'abord le plan comptable

C'est devenu indispensable maintenant que nous bénéficions d'une gestion informatisée : étant donné qu'aucune ligne de bilan ne "saisit" la valeur des personnes autrement que comme "Main d'œuvre" et "Charges sociales", un ordinateur trouve dans ces deux lignes la source d'économies (et plus encore de valorisation boursière) mathématiquement la plus juteuse. L'ordinateur le mieux programmé ne peut que manipuler les données comptables dont on le nourrit : un disque de "1000 Gos" est capable de répéter "oui ou non ?", "oui ou non ?", "oui ou non ?"… mille milliards de fois : cette belle performance permet des prouesses de calcul, mais mille milliards de "oui-non" ne feront jamais un début de raisonnement sensé !.

Tant qu'un patron était une (ou des) personne (s), fut-il âpre au gain et le pire des "ploutocrates, il savait qu'on n'achète pas "en ligne" les qualités des personnes qui constituent la spécificité d'une entreprise. Il savait aussi que les machines, standardisées et rapidement périmées, constituent de moins en moins réellement des "richesses", parce que tout le monde peut s'offrir les mêmes, à l'identique. Mais un outil informatique de gestion ne sait rien de cela… alors il conduit les affaires "comme un aveugle guidé par des aveugles".

Il suffit de suivre au jour le jour le cours d'une action "CAC 40" pour constater cette défaillance du discernement : on mesure à quel point nulle réflexion intelligente n'en dicte les variations !

Dans le contexte actuel de gestion, il est donc urgent, pour notre avenir économique et social, de trouver un moyen pour que les personnes de l'entreprise cessent de figurer dans la même colonne que les coûts matériels d'exploitation.

Merci de votre attention, Monsieur le Président.

René Deveaux,

Ex directeur d'entreprise et administrateur de société